jeudi 26 novembre 2015

NEGATIONNISME A BEAUCAIRE


Le 14 mars 2015 Robert Ménard, maire de Béziers, débaptisait la rue du 19 mars 1962 pour la rebaptiser rue du Commandant Hélie Denoix de Saint-Marc. Un acte qui suivait une commémoration le 5 juillet 2014, dans le cimetière de Béziers, des "Massacres d'Oran"  (5 juillet 1962) devant une stèle en l'honneur de quatre membres de l'OAS condamnés par la Cour Militaire de Justice et derniers fusillés de l'histoire de notre pays. Rappelons ici que l'Organisation Armée Secrète était une organisation militaire et politique française créée le 11 février 1961 pour assurer la défense de la présence française en Algérie par tous les moyens, ce qui incluait de nombreux actes de terrorisme.

N'écoutant que la voix de son maître à penser, en l'occurrence Jean-Marie Le Pen, le maire de Beaucaire a jeté les bases d'une démarche similaire lors de la cérémonie de commémoration du cessez-le-feu officiel de la Guerre d'Algérie. Ses motivations ? Elles sont simples, voire même simplistes, et empreintes d'une nostalgie du colonialisme fondée sur le racisme. Bien entendu Julien Sanchez la dissimule habilement derrière la nécessité de "laver l'affront fait aux anciens" auquel il ajoute fort opportunément les harkis en guise d'écran antiraciste. Mais la teneur de son discours est claire :

"Le 19 mars, dans chaque ville de France, nous sommes tenus d'organiser une cérémonie. Je le fais parce que je suis républicain. Néanmoins, je ne peux que regretter le choix de cette date, qui est un choix polémique. J'ai décidé de laver l'affront que représente cette date pour beaucoup de nos anciens. Je débaptiserai dans les prochaines semaines la rue du 19 mars 1962 et lui donnerai un nom moins polémique. Pourquoi pas celui d'un Beaucairois mort pendant ce conflit ? Je ferai connaître mon choix dans les prochaines semaines. Le fait d'avoir une rue du 19 mars 1962 peut être considéré comme une insulte pour tous ceux qui son morts après. On a eu le massacre de la rue d'Isly à Alger le 26 mars, mais aussi le massacre d'Oran le 5 juillet 1962. Je pense qu'il faut effacer ce choix-là, et donner un nom qui rappellera la vraie histoire et qui ne blessera personne." 

Finalement il expliquera en conseil municipal du 4 novembre avoir trouvé trop difficile de choisir entre les noms des trois beaucairois inscrits au monument aux morts du cimetière de Beaucaire. Il semble que pour le maire Front National de Beaucaire il soit nettement plus aisé et logique de donner à cette rue celui de 5 juillet 1962 Massacres d'Oran... Est-ce un choix moins polémique que celui du 19 mars 1962 ? Certes non ! A moins qu'il ne soit doté d'une mémoire sélective il ne peut occulter le fait que c'est l'OAS qui porte la principale responsabilité du drame qui s'est hélas joué en cette triste journée à Oran en refusant la date du 19 mars 1962 et en menant pendant plusieurs mois une politique de provocation en multipliant les attentats et les actions commandos. Faisons hurler les nostalgiques pendant qu'on y est, et rappelons-leur que s'il faut opposer le nombre de morts causées parmi nos deux populations l'OAS gagne haut la main ! Terrible constat... 

Ne vous laissez pas embarquer dans une dangereuse et improbable réécriture de l'histoire et craignez-en les inévitables retombées. Par ce choix particulièrement ignoble Julien Sanchez ravive les blessures des pieds-noirs, celles des algériens, et il efface purement et simplement un symbole de paix pour y substituer les germes rances d'un douloureux conflit. Il flatte l'électorat des rapatriés d'Algérie et de leurs familles et garde sous la main les harkis et leurs descendants pour les encourager à voter Front National. En brossant les uns et les autres dans le sens du poil il s'assure d'un nombre de votants relativement important et assoit sa carrière politique sur les blessures de notre passé commun avec l'Algérie, mais aussi avec la Tunisie et le Maroc dont cette date signe également la fin des combats. Sans état d'âme, en fin stratège, il signifie aux français issus de l'immigration du Maghreb qu'il leur dénie le droit de se considérer comme des français à part entière, il les oblige à porter le lourd fardeau d'une mémoire collective et ne leur permet pas de vivre en paix avec nous dans ce qui est, ne lui en déplaise, leur propre pays. 

Amis beaucairois je vous mets en garde contre les conséquences de ce changement, car c'est vous qui en paierez le prix. Il n'a rien d'anodin, n'y voyez pas pour ceux qui s'y opposent une énième critique des actions passées de la municipalité purement liée à la gestion de notre ville. Si n'importe quel élu de n'importe quel parti politique l'avait proposé nous aurions réagi avec la même force, la même détermination. Il s'agit là de préserver l'Histoire avec un grand H, celle de notre pays et d'une région du globe à laquelle nous sommes indéfectiblement liés. Il est pour nous primordial de protéger l'ensemble des beaucairois d'une démarche négationniste et raciste, qui est en sus un déni de démocratie. Ce changement de nom est une incitation à la haine, il verse de l'acide sur des plaies qui ne sont toujours pas refermées et qui ne se refermeront probablement jamais ! Mais de cela Julien Sanchez se moque comme de sa première chemise... Lui n'a qu'un but, toujours le même, faire parler de lui pour grandir au sein de son parti et atteindre les sommets. Que ce soit au détriment de Beaucaire ne l'interpelle pas, pour lui notre ville ne représente qu'un échelon, un tremplin pour sa carrière, et malheureusement beaucoup d'entre vous qui ont voté Front National par déception, lassitude, frustration ou simple curiosité se laissent berner et emmener vers des chemins qu'ils n'ont pas forcément choisi de suivre. 


Il est facile à Julien Sanchez de dynamiser ses troupes ! Quoiqu'il n'ait pas la prestance d'autres politiques il est doté d'un vrai charisme et c'est un orateur de talent. Ce n'est pas pour rien qu'il est le "Monsieur Loyal" des meetings du Front National, il faut le voir exhorter les frontistes à le suivre jusque dans les urnes, les manipuler avec aisance pour leur faire avaler un discours négationniste et antirépublicain qu'ils applaudissent sans sourciller, et s'en pourlécher ensuite les babines comme un chat devant un bol de crème ! Quelqu'un m'a un jour suggéré qu'il faisait penser à Ka, le serpent sournois du dessin animé Le Livre de la Jungle qui hypnotise ses proies avant de les dévorer, eh bien c'est tout à fait cela ! "Aie confiance... Aie confiance..." susurre-t-il avant de les étouffer dans les cercles concentriques de ses redoutables anneaux... Une métaphore pas si osée qu'elle en a l'air, le processus d'étouffement étant inscrit dans les gènes du Front National.

Il y a des politiques et des gens que l'on peut sans hésiter mettre dans des cases, notamment parce qu'ils ne respectent rien. Julien Sanchez en fait partie. Il entre dans celle sur laquelle est inscrit, entre la flamme tricolore et une tête de mort, "Danger Pour La République".



Rappel :
La date officielle du cessez-le feu est arrêtée le 18 mars 1962 par les accords d'Evian qui réunissaient des représentants du gouvernement français et du Front de Libération National. Le 29 novembre 2012, le Conseil constitutionnel déclarait conforme à la constitution la loi qui instaurait le 19 mars 1962 comme "journée nationale du souvenir et du recueillement à la mémoire des victimes civiles et militaires de la guerre d'Algérie et des combats du Maroc et de Tunisie." Annulant de ce fait la date du 2 juillet 1962 précédemment votée le 1er décembre 1999.

dimanche 15 novembre 2015

LES PATRIOTES



Les patriotes qui hurlent au loup depuis vendredi soir en donnant aux autres des leçons de morale nationaliste, voire même fasciste, bien calés sur leur canapé dans leur petite ville du sud, ont-il déjà vécu ailleurs que là où la vie est douce et ensoleillée mais quelque peu étriquée ? Je vous parle ici de ce que j'entends et de ce que je lis, mais je sais qu'il en va de même partout en France. Mettons les choses au point : ces gens qui prennent fait et cause pour les victimes des attentats parisiens en exsudant la haine ne savent rien de ce que sont et la ville et ses habitants. Ils n'ont aucune idée de ce que représente la mixité culturelle de Paris, ils n'ont pas conscience de la pluralité qui en fait toute l'originalité et la richesse. Ils désignent les banlieues d'un doigt vengeur, mais pour eux cela demeure abstrait, ils ne veulent pas savoir. Connaître l'autre c'est lui donner consistance, c'est lui concéder une existence, une réalité. Et les belles théories s'effondrent lorsqu'elles sont confrontées à la réalité, celles qui propagent la haine comme les autres.

Que connaissent-ils de la dure réalité des banlieues, des interminables temps de transport  dans des RER bondés pour aller gagner le SMIC, en râlant mais en ayant conscience qu'au moins cela paye d'indécents loyers ? Ces gens-là ne vivraient pas dans les appartements qui s'alignent dans d'affreuses barres de HLM qui ressemblent à des clapiers pour lapins, dont les murs mal isolés vous font involontairement vivre chaque minute de la vie de vos voisins ! Ont-ils conscience de la difficulté qu'il y a à vivre sa croyance, quelle qu'elle soit, dans certains quartiers de Paris ou dans certaines banlieues, depuis le début de notre siècle ? Les regards qui s'attardent, les commentaires, les moqueries, l'incompréhension, la crainte aussi parfois... Les pratiquants qui affichent leur croyance le font en toute conscience et savent que le respect de leurs traditions culturelles peuvent déclencher une réaction de violence qui vient grossir le flot de haine qui envahit un peu plus chaque jour  les réseaux sociaux et déborde dans nos rues. Pourtant ils continuent, pas pour provoquer, juste parce qu'ils en ont besoin. Et cela force le respect. Mais il n'y a aucun respect dans l'esprit de ceux qui confondent religion et extrémisme, ceux-là en vérité se frottent simplement les mains de l'aubaine et se voient déjà raccompagner les "étrangers" à nos frontières. Manu militari à les entendre ! Leur courage étant cependant proportionnel au nombre d'amis qui les accompagnent dans cette belle démarche patriotique, on peut raisonnablement douter qu'il leur en resterait s'ils devaient agir seuls. Il est probable qu'ils se pisseraient dessus...

Ceux-là qui se disent patriotes, et d'une certaine détestable manière ils le sont en effet, n'envisagent pas une seconde que d'autres le soient tout autant en vivant différemment d'eux. Combien de fois devra-t-on leur expliquer qu'il n'y a pas qu'une seule manière de vivre ? Que l'amour de son pays se manifeste aussi bien dans le respect de ses couleurs que dans la vie qu'on y mène chaque jour à sa façon, pas après pas, difficulté après difficulté, enfant après enfant ? Eux qui déposent gentiment leurs enfants chéris chaque jour devant leur école, collège ou lycée, qui ont l'esprit tranquille parce qu'ils feront en bus départemental ou réservé aux scolaires un trajet sans histoire, devraient par exemple se mettre à la place des franciliens et des parisiens dont les enfants prennent seuls le bus, le métro ou le RER pour aller en cours dès qu'ils entrent au collège. Ils n'ont pas d'autre choix que de lâcher leurs enfants dans ce réseau de transport complexe qui rayonne sur une cinquantaine de kilomètres autour de Paris, avec tous les risques que cela comporte. Et ils le font, ils donnent à leurs enfants les clés de cette pseudo liberté nécessaire à leur épanouissement, parce que c'est là qu'ils ont choisi de les mettre au monde, là qu'ils les élèvent pour devenir des adultes responsables. Et ce sera là qu'un jour ceux-ci feront de même avec leurs propres enfants, l'angoisse au ventre mais fiers de cette débrouillardise typique d’Île de France. Oui ils grandissent parfois dans des banlieues difficiles, mais ils sont confrontés aux réalités de la vie et ils s'ouvrent à toutes les cultures du monde ! Leurs amis viennent de tous les coins de notre planète, pratiquent toutes les religions, perpétuent toutes les traditions, à leur contact ces enfants, nos enfants, s'épanouissent.

Les patriotes qui déversent leur haine sans aucune censure sur les réseaux sociaux, dans la rue, au bistrot, que savent-ils de la vie des franciliens et plus précisément des parisiens ? Savent-ils qu'ils ne rentrent jamais déjeuner chez eux, qu'ils avalent leur déjeuner en trente à quarante minutes, café et cigarette compris, avant de se remettre au travail ? Que les parisiens font leurs courses le soir avant de rentrer pour garder tout leur temps libre pour leurs activités du week-end ? Mais qu'a contrario les habitants des banlieues prennent d'assaut les grandes surfaces le samedi pour se balader en même temps dans les centres commerciaux parce que près de chez eux il n'y a guère de choix pour habiller les enfants, trouver une paire de chaussures, manger une glace ou acheter des jeux vidéos ? Savent-ils aussi que personne à Paris ou en banlieue ne fait la sieste à moins d'être à la retraite ou privilégié ?

Que connaissent-ils de la diversité des loisirs parisiens ? Ont-ils déjà savouré un café ou une bière en terrasse à Paris, bercés par le bruit de la circulation qu'au bout d'un moment on n'entend même plus ? Fréquenté un bar gay juste pour s'éclater ? Joué à la pétanque aux Halles ou aux Invalides avant de pique-niquer sur les pelouses ? Dansé sur les quais de Seine ? Écouté du slam et de la poésie sur une péniche ? Participé à un café philosophique ou citoyen pour débattre avec de parfaits inconnus qui deviendront des amis ? Discuté comme çà de tout et de rien avec leurs voisins de bistrot de toutes origines et fait des rencontres inoubliables ? Ont-ils jamais expérimenté les plaisirs d'un voisinage joyeusement mélangé qui partage aussi aisément sa cuisine savoureuse que ses engueulades familiales ou les pleurs de ses gamins ? Qui viendra donner un coup de main si besoin et aura toujours un mot gentil dans l'ascenseur ou l'escalier ? Dont les adolescents porteront vos sacs de courses pour vous aider ? Que connaissent-il des gardiens d'immeubles parisiens qui arrosent vos plantes et nourrissent vos bestioles quand vous vous absentez, réparent votre machine à laver, posent vos tringles à rideaux, ouvrent votre porte quand vous oubliez vos clés dans votre appartement, et parfois gardent vos enfants pour vous dépanner ? Eux qui ne supportent pas les commerces "communautaires" et autres kebabs ouverts tard dans la soirée, que savent-ils du plaisir qu'il y a à descendre chez l'épicier arabe de sa rue pour acheter de quoi improviser une petite fiesta pour les amis qui débarquent ou simplement prendre un kebab, une pizza, ou une barquette de riz cantonais et des nems en rentrant chez soi ?

Connaissent-ils l'incomparable plaisir de se balader le nez au vent dans les rues de Paris, d'y croiser des milliers de personnes toutes différentes et pourtant de s'y sentir plus chez soi que nulle part ailleurs ? Non, les patriotes de province préfèrent rester en compagnie de leurs congénères, il vivent en circuit fermé et ne supportent pas de croiser un français d'origine étrangère ! Ils regardent de travers tout ce qui ressemble pour eux à un mécréant, qu'il soit juif ou musulman, oubliant qu'ils prient le même Dieu... Et ces temps-ci ils se focalisent sur les "arabes", tous des terroristes potentiels à leurs yeux ! Même dans leur petite ville ensoleillée ils les surveillent, ils les catégorisent, il les craignent. Oubliant que leur petite vie provinciale de bons franchouillards bornés noyés dans la charcuterie personne n'a envie de la voir voler en éclat, hormis sans doute d'autres français qui ne supportent plus d'entendre leurs discours haineux et péremptoires. Vouloir les faire évoluer ne serait-ce que d'un iota est peine perdue, nos bons patriotes se confortent plus encore dans leur discours de violence et de rejet, n'hésitant pas à manipuler, à mentir, à dénoncer !

Mais après tout qui sommes-nous pour les juger ? Nous, les "bien-pensants" qu'ils haïssent autant que les valeurs d'égalité, de liberté et de fraternité que nous défendons, mais qu'ils ne peuvent hélas envisager de reconduire aux frontières... Cela les rend malades, mais oui, nous sommes français et patriotes autant, sinon plus que lui. Et nous avons conscience, comme le disait Blaise Pascal dans Les Provinciales, que "L'envie et la haine emploient le mensonge et la calomnie". Eux ne sont pétris que de cela. Avec de la chair à saucisse pour colmater les brèches.